Comment l’émerveillement vient-il ? Comment naît-il en nous ? Faut-il le vouloir, le faire advenir, se mettre « en état de » sentir l’émerveillement ?
Bref, y a-t-il une ou plusieurs méthodes ? Une trousse à outils, un recueil de trucs et astuces pour émerveillement assuré ? Une science, estampillée par des experts ?
Et s’il n’y avait tout simplement pas de méthode pour se mettre en état d’émerveillé…
S’il s’agissait seulement de tout oublier.
S’il fallait d’abord et surtout savoir attendre.
Pas de méthode ? Y aurait-il contradiction avec ce que j’ai écrit, notamment Comment apprendre à voir des miracles dans le banal ? Non, il n’y a pas opposition. Car bien sûr il y a des moyens pour apprendre à découvrir comment s’émerveiller et comment sortir de nos vieux schémas invalidants et traumatiques. Oui, nous pouvons apprendre à changer notre regard et décider de suivre des chemins de vie, plutôt que ces voies mortelles dans lesquelles nous tournons en rond en remâchant le passé et notre statut de victime.
Décider de changer, c’est bien le préalable indispensable. Même si la décision suit des étapes aux périodes parfois longues et prend des formes variées selon les personnes, la décision de changer venant parfois presque malgré nous à la suite d’un traumatisme, d’une maladie, d’un accident, d’une épreuve violente.
Etape. Le mot est essentiel. Et quand je parle d’apprendre à attendre pour connaître l’émerveillement, je parle de cette première étape.
Qu’est-ce qui m’émerveille ?
Je ne le sais pas toujours.
Je ne le sais pas tous les jours.
Il y a des aubes grises, des après-midi sans soleil et des soirées solitaires. Il y a des moments où je n’entends plus le chant du monde, où je trouve l’autre et moi-même si lourds à porter.
S’ouvrir à l’inconnu
Comment faire ? Il n’y a plus aucun moyen qui vaille dans ces cas-là. Il ne me reste plus qu’à me mettre en état d’attente. Pas une attente inerte, mais une attente active : je me mets en disponibilité, j’ouvre mes sens à l’inconnu, à ce qui va advenir et que j’ignore encore.
L’autre, mon conjoint, mon collègue, mon enfant me plongent dans un état de stress, de tristesse ou de agressivité. Le même, qui la semaine ou l’année dernière me donnait des ailes et s’accordait « à merveille » à mon rythme, est aujourd’hui un facteur de réaction traumatique. Comment est-ce possible ? Et me voilà qui remâche intérieurement : il ou elle agit comme ça parce qu’il ou elle est toujours ceci ou cela, il ou elle ne changera jamais, etc. Me voilà englué dans le cercle traumatique du ressassement intérieur, des phrases automatiques, des émotions négatives et des réactions décalées.
Plutôt que de réagir justement, je peux me mettre en état d’attente. Attendre sans rien attendre. Sans attendre ce que je crois savoir, ce que je crois connaître par cœur de moi et de l’autre. Ce moi et cet autre que je connais pourtant si mal en réalité.
Mais attendre, ça veut dire quoi ?
C’est la même question que pose un interlocuteur imaginaire dans l’ouvrage de François Roustang : Savoir attendre. Pour que la vie change. Et l’auteur lui répond :
« Pour le savoir, tu devrais te taire cinq minutes et te mettre en suspens, comme si tu étais un oiseau qui plane ou même un oiseau qui est arrêté dans l’air, ne sachant même plus s’il vole ou ne vole pas, s’il est là ou s’il n’est pas là. Il ne s’occupe plus de savoir ni ce qu’il est, ni ce qu’il veut, ni ce qu’il fait. »
Et son interlocuteur, après quelques minutes de silence, répond :
« Ah, mais ce n’est pas mal du tout. Je me sens calme… À vrai dire, je ne me sens rien du tout. »
Et le dialogue continue :
« – L’autre jour, quelqu’un m’a dit lors d’une séance : “Quand on est comme ça, on n’a plus d’humeur.” On ne se préoccupe plus de savoir si on a bien ou pas bien, si on est content ou pas content.
– Mais on ne peut pas rester comme ça tout le temps
– Bien sûr, mais tout de même ça peut durer comme si nous étions sans cesse en contact avec un fond, une base. Les agitations de la mer en surface n’empêchent pas qu’il y ait du silence loin en dessous. Et puis, on s’aperçoit que les choses qui nous troublaient dans notre existence, qui étaient plus ou moins en désordre, qui brouillaient notre vue, on s’aperçoit que ces choses sont mieux en place les unes par rapport aux autres. Surtout, on est plus disponible pour prendre d’un bon côté les événements. »
Voilà ce que je vous propose. La prochaine fois que vous vous sentez entrer en état de réaction négative et invalidante, prenez le temps d’attendre. Attendre avant d’agir. Attendre pour laisser naître en nous ce qui nous correspond profondément. Attendre pour nous ouvrir aux merveilles au fond de nous et aux merveilles à l’extérieur de nous.