Je peux être tout pour l’autre, pour mon client, pour cette personne que j’accompagne, à condition d’avoir d’abord renoncé à moi-même. Si je n’ai pas fait connaissance avec mes peurs et mes solitudes, je ne saurai accueillir l’autre avec ses faiblesses. Et si je n’ai pas pris conscience de la puissance de ma propre lumière, je ne saurai pas non plus lui permettre de libérer la plénitude de ses richesses.
Si je ne me suis pas accepté moi-même avec mes petitesses et mes grandeurs, comment marcher du même pas que mon client : si je ne sais pas qu’il peut ralentir, s’arrêter, repartir soudain plein d’énergie, je ne saurais pas marcher à ses côtés, rythmant ma marche avec la sienne.
Mais lui peut aussi repartir en rythmant son pas sur le mien. Un mot prononcé, mon écoute attentive ou mon questionnement lui aura insufflé ma propre énergie. Le voilà qui repart plein d’allant alors qu’il était arrivé abattu. Sa vitalité a rencontré la mienne et l’alliance de nos deux énergies réunies va nous porter sur la route.
Ainsi ce dialogue avec une cliente en fin de séance :
– Vous m’avez permis d’y voir clair et cela me redonne du courage.
– Qu’est-ce qui vous a permis d’y voir clair ?
– Votre regard sur moi, votre confiance en mes capacités.
Alchimie de deux énergies : je lui offre ma confiance sans même y penser, en étant simplement moi-même, et cette offrande lui ouvre l’accès à sa propre vitalité.
Echange de vie et contre-transfert
Il y a transfert (1) au sens propre, étymologique : porter à travers, porter de l’un à l’autre. Je t’apporte ma confiance, celle-ci te permet de retrouver la tienne, et tu m’offres en retour ta confiance. L’échange s’accomplit dans un mouvement de danse. L’alliance entre nous se renforce à chaque « transfert » de l’un à l’autre (2).
C’est en ce sens que j’accepte pleinement le terme de contre-transfert au sens où je suis alors tout proche de mon client : tout contre lui ; et nous voilà marchant dans la même direction. La confiance passe de l’un à l’autre dans un aller-retour naturel, un échange de vie, où chacun reste lui-même en restituant à l’autre ce qui lui appartient en propre. Chacun retrouve l’agir dans le plein usage de sa liberté.
Mais cet échange a pu advenir entre nous parce qu’il a été précédé d’un renoncement antérieur, vécu et accepté en pleine conscience. D’autant plus qu’un autre mode de transfert est fréquent : si je peux faire le plein d’énergie et l’offrir à mon client, je peux tout aussi bien rester vide, perdu sur la route avec lui, hésitant à chaque carrefour sur la route à prendre, rebroussant chemin avec lui, tournant en rond dans le désert, partageant sa soif et son sentiment d’errance. L’essentiel est de rester tout contre lui. Le pire serait de le perdre en ce moment. Mieux vaut être perdu à deux. Car si je ne suis pas conscient de son vide et du mien, comment l’aider ?
Errance commune et situation-miroir
Séance récente avec une cliente : un jeu de miroir s’instaure entre nous jusqu’à ce dialogue au bout d’une heure :
– Je suis perdue, me confie-t-elle. Je ne vois pas comment faire autrement dans ce genre de situation. A chaque fois c’est la même chose et j’ai tout essayé. Je ne sais plus où j’en suis. Dites-moi ce que je dois faire.
– Ce que vous devez faire ? Je n’en sais rien et si je croyais le savoir, je le garderai pour moi ou je vous le proposerai éventuellement et avec votre accord à titre d’hypothèse ou de matière à réflexion ; je vous présenterai peut-être plusieurs options pour vous permettre d’en débattre ou de vous y opposer, moyen peut-être de découvrir vos options à vous et construire votre propre cheminement. Vous me dites que vous êtes perdu. Pour être franc, moi aussi. Je ne sais pas où nous sommes. Comment souhaitez-vous que je vous accompagne dans cette errance ?
Grâce à cette franchise, j’ai pu restituer à ma cliente ses pleins pouvoirs et, lors la séance suivante, quinze jours plus tard, elle a commencé à ouvrir une nouvelle route, inédite. Mais nous n’en étions pas encore là. Cette mise en commun de notre errance a permis de faire le lien avec l’une de ses problématiques professionnelles d’ordre commerciale : ses propres clients pourraient-ils avoir justement l’impression d’être perdus aux aussi ? La réponse lui apparut soudain comme une évidence. L’exploration de cette situation-miroir occupa la fin de la séance et fut pour ma cliente une découverte qui lui permit de commencer à reconnaître le terrain.
Laisser monter la peur en attendant les étoiles
La situation a pu se débloquer parce que j’ai accueilli en totalité son sentiment d’être égarée au point d’accepter de me perdre avec elle, plutôt que de bâtir aussitôt un rempart de solutions toute faites. J’ai laissé vivre en moi ma propre peur et ma solitude, restant simplement à côté d’elle, pour mieux ressentir sa propre inquiétude.
Je restais néanmoins conscient de ma plénitude d’accompagnateur, comme si je lui disais : « Soyez sans crainte : je sais qu’il faut parfois se perdre pour mieux retrouver la bonne route, celle que nous ne soupçonnions même pas. Faites-moi confiance. Je ne connais pas ce désert où vous vous perdez, mais je sais comment accompagner quelqu’un perdu dans les dunes. » Et pour cause, m’étant déjà perdu dans mes propres déserts, ma solitude et mes jungles obscures. J’ai appris que même une fois perdus tous les instruments d’orientation, boussoles, cartes ou jumelles, il reste le secours de la nuit. Alors, les étoiles naissant au firmament offriront de nouveaux repères et guideront le voyageur vers l’oasis où croisent les caravanes autour du puits salutaire.
(1) Les réflexions à suivre sur le terme de transfert à partir du sens étymologique sont à prendre uniquement comme piste vers d’autres possibles dans l’accompagnement, sans oublier la notion psychanalytique du transfert, première et essentielle.
(2) Sur ce sujet lire l’article d’André de Châteauvieux : Désirs et interdits en coaching.
Merci Emmanuel pour cette nouvelle réflexion que tu nous livres avec la pureté et la limpidité qui te caractérisent.
Et que se produit-il lorsque à la fois vides et pleins de nous-mêmes, donnés et « renoncés », lumineux et « inconnaissants », le mystère de la rencontre avec l’autre est advenu ?
Que se produit-il ? Nous devenons alors, coachs que nous sommes, les témoins privilégiés de ces moments de grâce où en un frémissement le coeur acquiert la capacité d’entendre l’appel de la Vie. Cri, chant, silence…émerveillement. Et la grâce surabonde.
Bonjour Emmanuel
Et si je pouvais n’être rien pour l’autre à priori, n’avoir en rien renoncé à moi-même et être en pleine capacité d’accompagner justement mon client ?
Le vide comme le plein sont des leurres, des chimères ou encore des phantasmes…
Nous sommes pleinement qui nous sommes lorsque le client nous rencontre. Comment pourrait-il en être autrement ?
Un miroir n’est miroir que parce qu’il est matière.
C’est bien parce que nous ne pouvons être un autre – ou plus précisément parce-que nous avons appris à être pleinement nous-même – que le client choisit de cheminer (ou pas) avec nous.
A rechercher le plein ou le vide, le danger serait de nous transformer en miroir sans tain…
Bien à vous
C’est curieux qu’en tant que coachs payés par notre client, nous ne sommes, en théorie, rien pour lui… Un fournisseur à peine. Aussi encombrant que le banquier lors d’une demande d’obtention de prêt ou la boulangère qui fait son beurre sur notre baguette quotidienne et qui, en plus, souvent, est trop aimable pour que cela soit vrai… ou pas du tout, sans que cela compte non plus.
C’est peut-être en cela qu’il vient à nous détester… Dans ce tout ou rien, ou plutôt, tout et rien… D’autant plus quand nous sommes authéntiques, comme vous ici. C’est encore plus rageant !
Je ne parle que de moi ici, mais peut-être que cela vous arrive aussi…
Etre ou ne pas être pour le client, là serait la question…
On peut n’être rien pour lui tout en étant tout à lui et dans l’authenticité en sa présence, il me semble que ce n’est pas contradictoire.
Un fournisseur, prestataire, passeur, oui, certainement. Toute volonté d’être autre chose ne serait-ce pas vouloir nourrir notre propre désir dans la relation ?
Encombrant ? Pour certains peut-être…
Aimable ou détestable ? Tous les goûts sont dans la nature et les deux options sont à la discrétion du client. Comme en thérapie certains ont parfois besoin d’aimer, détester, voire tuer leur coach ou leur superviseur pour pouvoir continuer à avancer…
Et cela leur appartient aussi, au même titre que mes propos.
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A ces éventualités le coach doit aussi se préparer…
Vous parlez de relations coach/client et ces réflexions, restitutions m’évoquent d’autres situations : toute relation humaine de qualité. A force d’être encombré par soi, nous en perdons le sens de l’accueil de l’altérité. Au travail comme dans la vie.