Bernard Giraudeau est mort, emporté par le cancer dont il souffrait depuis plusieurs années. Le comédien charismatique au sourire enchanteur, acteur et bourlingueur au long cours, avait été séduit par l’écriture en même temps qu’il était touché par la maladie. Apprenant à « regarder les choses différemment et à être plus aimant », il laisse en testament ses livres et l’image d’un homme amoureux de la vie.
Dans Libération, le 10 mai dernier, il évoquait sa maladie, ses traitements et son parcours de patient :
A un moment, je ne pouvais plus continuer, je voyais bien que j’allais vers quelque chose qui me rapprochait de l’abîme. Cela tenait à mon existence qui avait de moins en moins de sens, une course effrénée qui me maintenait en permanence dans un état d’angoisse, celle qui peut accompagner notre métier d’acteur. J’allais où ? Un manque de sens, de profondeur, de recherche sur l’essentiel… Et donc, le cancer est arrivé et je n’étais pas trop étonné. […]
Vous vous rendez compte qu’il vous reste dans la vie peu de choses, mais elles sont là, importantes. Un peu de bonheur, beaucoup d’amour. C’est tout bête. Et à part ça ? Il faut être heureux avec ce que l’on a. Il faut calmer le jeu, arrêter les colères, ce qui n’est pas simple. Regarder les choses différemment, être plus aimant. Comprendre.
Percer la vérité, jusqu’à la substance de notre existence
« Regarder les choses différemment. » C’est ce que le comédien, cinéaste et écrivain a réalisé dans les romans écrits sur l’ultime versant de sa vie : Le Marin à l’ancre, Les dames de nage, Cher amour… Dans Cher amour, son dernier roman, récit de voyage poétique et flamboyant où transpercent au fil des pages tant d’éléments autobiographiques, Bernard Giraudeau revisite les théâtres parisiens de sa carrière de comédien pour nous offrir une vision magnifique du métier de comédien :
Un acteur est comme le peintre devant un mur nu. Il m’a fallu du temps pour saisir que l’espace vide est une proposition magnifique à l’imaginaire. Il nous faut répéter dans ce théâtre vide pour être libre des valeurs ajoutées. Je veux jouer sans décor, sans costume, sans vêtement aucun, disait Piscator, bien entendu quand je dis nu, je ne parle pas des corps mais de l’âme, pour percer enfin la vérité, jusqu’à la substance de notre existence.
On n’a jamais trouvé un personnage, il est temporaire. Un théâtre est une nécropole de fantômes, de rôles oubliés, des Hamlet, des M. Jourdan, des Tartuffe, des Figaro, Fantasio, Mercutio, Isé, et c’est soudainement la vie dès que l’acteur est en scène et que le spectateur accepte qu’il se déguise et fasse semblant. C’est ce jeu de l’enfance retrouvée qu’il faut appliquer, faire semblant et y croire. L’enfant peut voir l’invisible, un coquillage dans le creux de la main qu’il tient précieusement et qu’il offre à la petite fille qui le recueille avec bonheur. Donner à voir, à entendre, donner. Jouer à « on dirait que… ». On dirait que je suis le prince ailé et toi la sirène, toi la marchande et moi le client. Plus tard, quand on est grand, on enchaîne avec on dirait que… » je suis Diderot et toi Mme Terbouche, toi Almaviva et moi Suzanne, Bérénice, Agnès et qui vous voulez.
On dirait que… je suis le coach et toi le client. Avec ces habits, nous pouvons rentrer en relation sans plus d’explication, faire semblant de traverser et de résoudre tes problèmes obscurs, et vivre, en réalité, à deux, cet « essentiel (qui) est invisible aux yeux… » (Le Petit Prince de Saint Exupéry)
Oui, Eva, merci de faire le lien avec le coaching. Pour continuer votre réflexion : « Et si l’essentiel d’une vie consistait à accueillir l’ébranlement, la secousse, le dérangement causé par l’autre ? » (Christiane Singer, « N’oublie pas les chevaux écumants du passé »)
Merci pour cet hommage ! Je ne sais pas si Bernard Giraudeau connaissait l’approche narrative; ces mots « regarder les choses différemment et à être plus aimant » sont proches de ce que j’ai appris, retenu et tente d’appliquer dans ma vie et ma pratique quotidiennes. Croyez moi, ce n’est ni simple, ni facile mais n’est ce pas le meilleur chemin vers la VIE ?
Françoise, je vous suis tout à fait sur le lien avec l’approche narrative. Regarder différemment pour s’éloigner de ce qui nous est trop familier et nous empêche d’avancer, afin de prendre une nouvelle direction vers ce qui nous serait possible de savoir et de faire autrement. Bref, retrouver la voie de l’initiative personnelle et écrire de riches histoires de vie. Nous sommes bien dans l’esprit de Michael White.
Bonjour.
J’ai trouvé cet article sur Bernard Giraudeau si intéressant que je l’ai mis en ligne sur mon blog
http://partagejean-loup.blogspot.com/
Merci, Jean-Loup, pour ce partage. Et comme le partage est source d’enrichissement, deux fois merci.